Ama Mazama: Se reconnecter avec l'Esprit Ancestral
Ama Mazama - Les africains ne seront jamais européens
Simon INOU est journaliste kamit travaillant dans le monde germanophone européen et rédacteur-en-chef de Afrikanet.info, site d´informations sur les noirs résidant en Allemagne, Autriche et Suisse Allémanique.
Ama Mazama est Afro-guadeloupéenne. Après de
brillantes études en France elle décide de s´installer aux USA, pays
dans lequel elle enseigne au département d´études africaines de Temple
University en Philadelphie. Auteure de nombreux ouvrages, elle es l´un
des piliers de l´école de pensée afrocentriste dont la philosophie
s´inspire de celle de Cheikh Anta Diop le savant sénégalais. Une
interview de Simon INOU.
Pouvez-vous vous présenter s´il vous plait ?
Ama Mazama : Je suis Ama Mazama originaire de
l´Afrique avec un transit en Guadeloupe. Je suis professeure d´études
africaines à Temple University aux Etats-Unis. Je me décris avant tout
comme Afrocentriste.
Qu´est-ce qu´un(e) Afrocentriste ?
Etre Afrocentriste cela veut dire que l´on
insiste, pour que lorsque l´on approche l´expérience africaine qu´on le
fasse à partir de la perspective africaine elle-même. Ce qui s´est passé
jusqu´à maintenant c´est l´Afrique a été toujours définie de
l´extérieur par des européens, de facon négative et aussi par des
européens qui pensent que leur expérience à eux est universelle et que
ce qui vaut pour eux vaut pour les autres. Or c´est loin d´être le cas
car l´expérience européenne demeure une expérience européenne. Rien de
plus rien de moins. Il y a plusieurs façons d´être au monde dont la
façon d’ être africaine, fondée sur l´histoire et la culture africaines.
Vous êtes fièrement habillée en africaine et portez la croix Ankh de la vie. Que symbolise-t-elle ?
Cette croix est le symbole le plus populaire
que nos ancêtres, les égyptiens anciens qui étaient Noirs, portaient.
C´est une affirmation de nous mêmes et une affirmation de notre foi en
la vie. Car elle est eternelle. Nos ancêtres les anciens égyptiens l´ont
formulé avant tous les autres religions dans le monde.
La croix Ankh est-elle uns symbole religieux ?
C´est un symbole spirituel qui a été transformé en symbole religieux par le christianisme.
Un
journal autrichien titrait dans son édition d´hier que le pharaon
Touthankhamon était un blanc. le journal affirmait que cette déclaration
vient de Zahdi Awas des archives pharaoniques du musée du caire. Qu´en
pensez-vous ?
C´est de la pure idéologie. cela relève encore
de la malhonnêteté intellectuelle des européens. Awas était d´ailleurs à
Philadelphie il y a une semaine (17 au 22 Septembre 2007) et nous avons
organisé une manifestation contre lui. C´est quelqu´un qui est
grassement payé pour diffuser ces mensonges. On sait très bien que ce
qui est en jeu est énorme.
Qu´est-ce qui est en jeu ?
Ce qui est en jeu c´est de pouvoir maintenir le
mythe du miracle grec et de la suprématie intellectuelle et culturelle
blanche sur lesquels reposent le racisme et tous les privilèges que les
blancs se sont arrogés au nom soi-disant de leur supériorité. Entre
autres celui d´aller civiliser les sauvages. Et pour nous ce qui est en
jeu c´est la réappropriation de notre histoire. les parents de
Touthankamon étaient des noirs. Toutankahmon tel que présenté de nos
jours avec les yeux bleus est historiquement impossible. Il faut donc
pour ce faire fabriquer des preuves parce qu´ils n´en ont pas, Aux USA
il ya eu plusieurs manifestations contre l´exposition montrant
Toutakahmon blanc. Même l´affiche montrant un visage blanc de
Touthankamon n´a pas été diffusée.
Vous êtes scientifique et en même temps activiste. Pourquoi vous engagez-vous tant ?
Je m´engage tant parce que ce qui compte pour
moi c´est de voir les choses évoluer de façon concrète et je pense que
les intellectuels ont un rôle très important à jouer qui n´est pas
seulement celui de faire de la recherche ou d´écrire, c´est important,
mais aussi de propager ce que nous savons, de discuter, d´informer,
d´écouter les nôtres et toujours d´essayer d´apporter des éléments pour
aider à la transformation de nos consciences. L´activisme fait partie de
ma responsabilité intrinsèque d´intellectuelle. Je ne vois pas à quoi
ca sert d´écrire des livres qui n´ont aucune réalité avec celle de mon
peuple. Ça ne m´intéresse pas de faire mon travail par carriérisme ou
pour avoir une promotion dans le système occidental. Ce qui me motive
c´est le travail que je fais pour mon peuple, ma race.
Race ou peuple ? Dissociez-vous les deux ?
Non. Je ne dissocie pas les deux. La race c´est
très important car pour moi c´est la base. Mais la façon dont je
définis la race tient compte non seulement d´une composante biologique
mais aussi culturelle et historique. Ces deux paramètres sont très
importants. Du point de vue afrocentrique parler de race veut dire
mettre l´accent sur la culture. Il faut aussi comprendre que ce n´est
pas parce qu´on est noir ou africain qu´on est afrocentrique.
L´Afrocentricité nous apprend à nous transformer ..
C´est à dire..... ?
A apprendre à vivre et à penser en africain.....
Dans votre livre majeur "l´impératif
afrocentrique" vous insistez sur l´éducation et thématiser longuement ce
sujet. Quels défis avons-nous aujourd’hui´hui en tant qu´africains, en
tant que noirs, avec l´éducation ou la scolarisation qui nous est
directement ou indirectement imposée ?
Le problème que l´on a c´est que le but de
cette scolarisation et de cette éducation était de nous faire subir un
lavage de cerveau pour nous désafricaniser et nous européaniser. Le
problème que nous avons c´est que nous ne serons jamais européens. Nous
ne serons jamais des blancs. C´est que je disais à une soeur lors de ce
congrès. On pourra changer de lieu géographique comme on le voudra mais
la seule constante qui démeure est le fait que nous sommes africains.
Aujourd´hui nous sommes à Vienne en Autriche, demain on sera à Paris en
France, Après-demain à New York aux États-Unis et ainsi de suite....nous
demeurons africains. Il y a un proverbe qui dit "Laissez un morceau de
bois dans la rivière il ne deviendra jamais crocodile". Le véritable
problème que nous avons à cet effet c´est que le morceau de boi ne sait
plus qu´il est un morceau de bois.... C´est cette situation extrêmement
bizarre, anormale, dans laquelle nous sommes. Nous ne savons plus que
nous sommes du bois, nous ne savons plus qui nous sommes, nous racontons
des tas d´inepties sur nous-mêmes, sur l´Afrique et oublions par là que
nous ne seraons jamais crocodiles. Nous avons perdu nos repères
historiques. Par exemple la question du nom est intéressante pour la
survie de nos cultures et par là de nous-mêmes.
Si on revenait à l´éducation....
Il y a deux choses que les européens nous ont
fait pour nous contrôler : prendre nos noms et prendre nos divinités. Et
avec ca le tour était joué. Après ces deux étapes ils nous fait passer
par le tamis de leurs écoles qui nous ont fait subir un lavage de
cerveau total et à la fin de la journée et bien nous voilà : Abrutis,
avec des comportements bizarres, pathologiques. De nos jours, nos pays
soi-disant indépendants continuent à éduquer leurs enfants avec une
éducation étrangère à qui ils sont. Nos états dits indépendants n´ont
pas encore pris conscience.. Vous le dites et c´est vrai.....C´est
impératif d´avoir une éducation centrée sur l´Afrique. Les médias jouent
aussi un rôle majeur dans l´éducation et je pense qu´il doit être
important pour nous de nous accaparer de ces deux outils si nous voulons
réellement nous libérer définitivement. Mais tant que nous permettrons à
d´autres d´éduquer nos enfants ou bien même de permettre à d´autres de
dicter à nos enfants ce qu´ils doivent savoir et en même temps tourner
notre dos à notre propre culture nous resterons dans la même situation.
Si on parlait de nos divinités. De nos jours
on parle de trois grandes religions dans le monde : le judaïsme, le
christianisme et l´islam. La composante asiatique revient actuellement
en force avec le Zen, le bouddhisme, le Taoïsme, le Nouddhisme Zen
etc....et nous africains où nous situons nous ?
On n´est nulle part. Depuis le philosophe
allemand Hegel qui a déclaré que nous n´avions pas le concept de Dieu,
les blancs ont décrété que nous n´avions pas de religion. C´est ce
paradigme que j´appelle le paradigme d´ignorance et d´arrogance qui
perdure...
Comment se situer de nos jours en tant
qu´africains, en tant que noirs dans la multitude des religions qui
envahissent notre quotidien. Que nous soyons en Afrique ou en dehors de
l´Afrique beaucoup d´africains sont des fanatiques de religions
étrangères à leur culture. le lavage de nos cerveaux a abouti au fait
que plusieurs de nos compatriotes confondent nos dieux africains à de la
magie ou de la sorcellerie..comment résoudre ce problème ?
Je ne pense pas qu´il y ait de solution simple.
Nous participons nous à la destruction de notre propre identité. Les
blancs ne nous obligent pas à aller dans leur églises, à porter leurs
noms, à nous agenouiller devant leur Jésus blanc aux yeux bleus et aux
cheveux blonds. Nous avons tellement intériorisé ce discours négatif sur
nous-mêmes que nous faisons cela pensant que c´est ce que nous avons de
mieux à faire. Encore une fois je plaide ici pour la reprise du bon
sens et la conscience de soi, seul moyen pour nous noirs de nous libérer
réellement. Cela vaut aussi pour les religions qui actuellement font
rage sur le continent.
Revenons en religion. Etes-vous croyante ? Si oui en quel dieu ou déesse ?
Je suis actuellement entrain de travailler sur
une encyclopédie sur la religion africaine avec Molefi Kete Asanté.
C´est un projet monumental qui nous prend du temps. Je ne crois pas en
un Dieu particulier. Je crois en une force divine qui est là dans tout
ce qui est. Les occidentaux appelleront cela l´animisme ce qui est faux.
Cette énergie divine est en nous, sur nous, autour de nous. Comme vous
le savez probablement j´ai embrassé le Vodou comme étant ma religion. La
conception du Vodou est fondamentalement africaine. Elle se retrouve
partout en AFRIQUE. C´est une force cosmique à laquelle on a donné
divers noms par exemple Amon Ra etc..Dans le Vodou nous l´appelons
Olowum (Gwan-Mèt). Olowum c´est un des noms Yoruba de Dieu. Olowum est
la divinité suprême qui veut dire “maitre des cieux.” Et puis nous avons
des divinités secondaires ou encore Lwa, et puis il y a les ancêtres,
car c´est eux le socle fondamental. Cette structure est fondamentalement
africaine. Donc je n´ai aucune difficulté à vous dire en quoi je crois.
Restons dans le concept occidental qui nous
fait comprendre que le Vodou c´est de la magie noire....encore une fois
dans le contexte occidental tout ce qui est mauvais est..noir
J´ai été confrontée à ce problème. Mais face à
cette situation nous avons deux choix : Soit je me cache, soit j´assume
ma religion. Si je me cache, cela veut dire que je joue le jeu du
colonialisme et de ses avatars. Non, je le dis ouvertement, je suis
pratiquante du Vodou. Si vous êtes honnêtes et vous y intéressez il y a
suffisamment de documentation là-dessus. Si vous voulez me voir comme
sorcière tant pis. Moi je me sens bien dans ma peau et en paix ...car
j´ai mis de côté toutes ces religions étrangères qui m´ont été imposées
de force et par la violence. Tout ceci pour m´empêcher d´être moi-même.
J´ai mis tout cela de côté et suis retournée à ma tradition
ancestrale...
Pourquoi ne pas alors retourner à l´Égypte ancienne ?
Je pourrais retourner à l´Égypte ancienne.
Après tout je porte la croix ANkh qui est un symbole majeur pour les
africains. C´était plus facile pour moi car j´ai trouvé des lieux de
culte Vodou qui fonctionnent avec tous les rituels. Dans mon esprit il
n´y a pas de différence parce que le Vodou lui même vient de l´Égypte
ancienne. Le Vodou est une des expressions du système égyptien ancien.
Nous avons aussi un problème de localité..Si je veux de nos jours
pratiquer le système égyptien où vais-je aller ? Tandis qu´à
Philadelphie ou en Haïti, je sais où aller s´il s´agit du Vodou.
Fondamentalement l´Égypte ancienne est la même matrice pour toutes les
autres religions purement africaines.
De nos jours quelque soit l´endroit du monde
où l´on est nous sommes envahis par les images provenant des chaines de
TV occidentales. Ces images ne véhiculent que les images occidentales
et propagent des images négatives quand il s´agit des noirs où qu´ils
soient dans le monde. En même temps ces chaines de TV dans la plupart
des cas nous dévalorisent. Quels impacts peuvent avoir ces images sur
l’éducation de la jeunesse noire ?
On dit souvent que je suis radicale, mais cela
doit être vrai quelque part...mais moi je n´ai pas de télé. J´ai fait un
choix et mes enfants grandissent sans télé. Tout le monde peut le faire
d´autant plus que chacun a la pouvoir d´allumer ou d´éteindre la télé.
Certains de mes étudiants viennent souvent me dire "Professeur, hier
soir ils ont encore montré des trucs racistes à la télé". Moi je leur
dis : “Pourquoi regardez-vous ca ? Eteignez la Télé...” Vous avez au
moins ce pouvoir d´éteindre la télé. Je ne crains pas l´influence et je
ne veux pas qu´on me pollue l´esprit. La télé est un danger, un
véritable poison pour nos enfants. C´est aussi vrai que nous abandonnons
nos enfants devant la télé, les ordinateurs, mais aussi à l´école.
Beaucoup de parents africains le font. Nous livrons nos enfants en
pâture à des forces néfastes...
Comment éduquez-vous vos enfants ?
Mon fils aîné ne va plus à l´école. Ma fille va dans une école afrocentrique. Mon fils, je l´éduque moi même à la maison.
Vous êtes quand même allés à l´école. vous
avez des diplômes et vous enseignez aux USA....pourquoi votre fils ne le
ferait pas aussi ?
Si mon fils montre le désir de vouloir étudier
il aura le choix.....on ne peut pas le lui interdire. Jusqu´à 17-18 ans
il n´est pas obligé d´intégrer le système scolaire. ce qui compte c´est
qu´il puisse montrer qu´il est capable. Il travaille beaucoup plus à la
maison.
Changement de sujet - En Afrique rien ne va
plus. Les jeunes veulent partir par centaines car ils veulent aller en
Europe....par manque de perspectives. Les politiques sont caduques et
sont de moins en moins capables de suivre le rythme imposé par les
institutions financières du Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale). En
même temps nous voulons être modernes et copier le blanc.....
C´est vraiment une tragédie. Encore une fois on
revient à la question que l´afrocentricité pose : Qui sommes nous ? En
fonction de la réponse à cette question on pourra déterminer qui nous
voulons être. Je suis contente que vous ayez parlé de politiques et pas
de Leaders ...Ces gens là ne sont pas des leaders. Le problème que nous
avons aujourd’hui´hui en Afrique c´est que nous acceptons un modèle
occidental qui se fait accepter comme universel. Le modèle du
développement, de l´industrialisation, de la modernité etc...ce modèle
n´est pas un bon modèle. Ce n´est pas un modèle que nous avons les
moyens financiers d´adopter et d´entretenir. Mais aussi culturellement
c´est un modèle qui nous coûte cher. ce qui nous est présenté c´est un
idéal qui ne correspond pas à qui nous sommes et qui donc nous détruit
encore plus sur les plans culturel et social. Je me répète. La question
est de savoir quel modèle on suit...qui on est.
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